Tenuta Licinia

avec James Marshall à Lucignano (AR)

Les premières graines du projet Inside Toscana ont été plantées dans ce petit coin de paradis situé près de Sienne à Lucignano (Arezzo). Cet article aurait pu être le numéro 0 mais j’aime l’idée de pouvoir glisser avec aplomb Tenuta Licinia parmi les grands noms de la Toscane. Vous l’aurez compris, cet article de ce carnet de rencontres a une saveur toute particulière.  

En septembre 2023, j’arrive à Tenuta Licinia pour un mois de vacances dédié aux vinifications. Je sais que cela est bien loin de la carte postale au bord de l’océan avec un bouquin ; mon entourage me l’avait bien fait remarquer. Au final, c’est l’une des plus belles aventures que j’ai vécues au cours de ces dernières années.  

Je cherchais une propriété à taille humaine avec une approche de vins de terroir pour mettre en pratique ce que j’avais appris pendant la formation du DUAD. Sur la recommandation de Yari Cordioli (oenologue-conseil chez Derenoncourt Consultants), je débarque là-bas, la fleur au fusil, avec juste l’envie de me plonger dans la frénésie des vendanges. Puis, c’est la rencontre avec ce lieu, James et l’équipe. Ce moment que Charles Pépin* définit comme celui qui “nous bouscule, nous trouble. Quelque chose se produit, que nous n’avons pas choisi, qui nous prend par surprise : c’est le choc de la rencontre.” 

Mon premier contact avec les vins de Licinia a lieu quelques mois plus tôt, lors d’une dégustation organisée par Derenoncourt Consultants à Bordeaux. J’avoue que déguster des vins italiens prêts à boire pendant les primeurs, c’est comme une pause au bord d’un lac de montagne pour les papilles. Je me souvenais de la nonchalance de James au milieu de cet alignement de tables et surtout, des étiquettes : une gravure épurée et soignée du vignoble réalisée par son ami artiste, Anselme Long

Le grand-père de James, Jacques de Liedekerke, a eu l’opportunité d’acquérir cette propriété de 60 hectares dans les années 70 à Lucignano, dans la province d’Arezzo. En 2006, il décide de replanter les parcelles de Sasso di Fata, un grand terroir de Galestro et, aujourd’hui, Tenuta Licinia compte 6,5 hectares. Au décès de Jacques, James alors âgé d’à peine 30 ans, finalise sa thèse de philosophie à l’Université d’Oxford et décide de reprendre le domaine familial en 2020. 

Si rien ne prédestinait James à vivre sur ce domaine à 5 kilomètres du premier bar où boire un cappuccino (même “dopo pranzo”), il tire sa plus grande force de son parcours : la réflexion.  Il connaît bien les terroirs pour avoir passé ses vacances à Licinia. Il décide de se faire accompagner par le talentueux Julien Lavenu accompagné de Yari Cordioli de Derenoncourt Consultants, oenologues spécialisés dans l’élaboration de vins de terroirs. En quelques mois, l’alchimie est étonnante. Ils débattent, construisent, remettent en question, perfectionnent et affinent tout le potentiel de Licinia autour de la vision précise que James a des terroirs de la propriété. Cette collaboration se prolonge jusque dans les aventures de James et Andrea, son bras droit, dans la recherche de la meilleure parcelle de Galestro où le Sangiovese s’exprime dans toute sa pureté aromatique. J’ai d’ailleurs eu la chance de voir son émotion lorsque nous avons mis les premières grappes en cuve lors de la vendange 2023.

Sa quête de l’aromatique est un aspect de la dégustation qui m’a interpellé. Jamais, je n’avais échangé avec un vigneron sous cet angle, où l’abstrait et les sens s’entrechoquent autant. Lors de notre premier dîner, j’ai pu mesurer toute l’ampleur de ce que la pureté aromatique pouvait signifier pour lui, autour de la tomate. Il a préparé pendant une heure, avec un brin d’intuition et une poignée de précision, la meilleure sauce tomate de mon histoire pour sublimer les linguine que nous avons, bien sûr, dévorées en cinq minutes. Le ton était donné pour ce qui allait se passer avec des raisins en cuverie. 

Il a une idée précise de ce qu’il recherche dans l’expression d’un cépage, d’un type de terroirs ou d’un climat. Il analyse des cartes, il s’inspire des plus grands, il déguste tout ce qui peut se faire de mieux, il sillonne avec son Duster les routes blanches de la région pour nourrir sa feuille de route à Licinia.

« We set ourselves the goal of making extremely aromatically concentrated wines with a mineral edge, that were sensorially attractive both to those who were not regular wine drinkers and to amateurs. »
— James

Le résultat : des expressions de terroir que James étoffe avec des parcelles de Sangiovese qu’il trouve en fermage. Montepolli est l’expression délicate du merlot assemblé avec du cabernet sauvignon, cabernet franc et petit verdot sur des sols à dominante argilo-calcaire. Puis, Sasso di Fata est le grand vin emblématique. Les 3,5 hectares de cabernet sauvignon sont plantés sur les terrasses : de vrais jardins, où les murs en pierres sèches font écho à ce sous-sol composé de schistes calcaires friables, le Galestro. Le cabernet franc et le merlot viennent compléter l’assemblage final de cette cuvée emblématique.

Lors de dégustation verticale même modeste de Sasso di Fata, c’est assez frappant de ressentir la profondeur et l’étoffe que ce vin peut prendre au fil des trois derniers millésimes. Le train est en marche. Le virage dans les pratiques à la vigne a été important avec l’introduction de l’agriculture biologique, associée à des pratiques biodynamiques. Cela nous rappelle qu’il faut aussi du temps à la plante de se charger d’une nouvelle énergie.

Après un mois passé à Licinia et désormais installée à quelques minutes de route, je continue d’apprécier le temps passé avec cette équipe et ce lieu au fil des saisons. James a l’art de mélanger la légèreté sans se prendre au sérieux et la précision dans les dégustations que nous faisons. Il casse les codes classiques de la vision que j’avais, certainement, du gestionnaire d’une propriété viticole où l’âge, être du sérail, les diplômes ou devoir faire ses preuves devraient être un passage obligé. Toutefois, ne sous-estimons pas le fait que c’est une grande chance d’hériter d’un tel patrimoine familial, mais encore fallait-il franchir le pas ! Puis, il a le chic de poser la question qui n’attend aucune réponse précise, mais qui soulève une vague de réflexions, celles qui font grandir et avancer. Il a le don de mettre en confiance les gens autour de lui par sa gentillesse, créant une atmosphère où la simplicité s’invite spontanément.

Parmi les belles choses que le vin peut amener, notre rencontre est certainement la plus belle ! 

Si vous passez par Sienne, passez leur dire bonjour. Laura vous recevra dans ce petit coin de paradis.

Pour plus d’informations sur les vins, voici le site internet.


*Source : La rencontre, une philosophie de Charles Pépin

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