Extra vierge

Je suis arrivée en Toscane au mois de mars dernier. J'étais tout juste capable de placer toutes les appellations sur une carte et je connaissais tout au plus une dizaine de domaines. En quelques mois et avec 8 000 kilomètres au compteur, ce nouveau terrain de jeu me surprend tous les jours. Il est semé de belles rencontres qui alimentent Inside Toscana et me nourrissent autant qu’un plat de Pici au pesto di cavolo nero.

Parmi ces rencontres, il y a celle avec Renzo. L’étincelle! Il fait partie des gens qui font du bien. Du haut de sa soixantaine, la barbe grisonnante taillée en pointe, les mains calleuses noircies par le camboui des motos qu’il répare. Un look de biker, une âme de paysan connecté à la terre et un regard empli de gentillesse. En quelques semaines, il est devenu mon “zio” toscan. Depuis, on se retrouve chaque semaine pour un petit-déjeuner au bar. Il me raconte les traditions agricoles, les aberrations, les pratiques locales. Les sujets partent en pagaille et je bois avec plaisir ses histoires tout comme mon cappuccino.

Un jour, il me parle des olives et de la récolte. Il me propose : “Si tu veux venir voir comment cela se passe, tu viens nous aider, je t’explique et tu repars avec ton huile d’olive.” J’ai sauté dans son filet sans hésiter. Banco ! Puis, j’adore me mettre dans ces combines qui permettent de s'immerger avec les locaux. Produire sa propre huile d’olive vaut tous les justificatifs de résidence à mes yeux. Le seul hic : j’ignore tout. Je suis aussi extra vierge qu’un litre d’huile !

Il faut tout d’abord savoir que la culture des olives est davantage une activité de passion, de tradition et de plaisir qu’une activité lucrative. Avec des rendements très faibles de 8 à 14% et avec une alternance de production abondante une année sur deux, l’huile d’olive devient un or vert avec un coût de production aux alentours de 9 euros le litre. Si la culture de l’olive a été implantée au temps des Etrusques, les champs d’oliviers ont intégré les paysages de la Toscane comme nous les connaissons aujourd’hui seulement à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle. Dans les campagnes, le gras du porc était utilisé dans la cuisine “pauvre” toscane. Aujourd’hui, il y aurait 80 000 arbres plantés et plus de 10 000 récoltants.

L’huile d’olive en Toscane est très réputée en Italie en raison de son terroir : altitude, micro-climat, sols composés de calcaire, de schiste et aussi du soin apporté par les producteurs qui sont, pour la plupart, vignerons. La récolte se fait aux premiers froids d’automne, après les vendanges, lorsque les olives atteignent leur maturité et pour certaines variétés, quand elles prennent des reflets noirs violacés.

J’ajoute ici, quelques notions techniques sur les cultivars - ou variétés - d’olives. Il faut savoir qu’une grande majorité des oliviers a été replantée après les années de grand gel en 1956 et en 1985. En règle générale, les champs sont plantés avec différentes variétés dont des arbres pollinisateurs. Il est donc très rare de pouvoir déguster une huile issue à 100% d’une variété - il s’agit d’assemblage. En Toscane, les principaux cultivars sont : 

  • Frantoio : une olive de grande taille, sensible au froid et tardive avec une aromatique intense d'artichaut et de poivre. 

  • Leccino : ce cultivar se distingue par ses longues grappes d’olives. Plus productif que ces confrères, il développe des arômes très subtils. N’étant pas un pollinisateur, il a besoin d’être cultivé par exemple aux côtés de cultivars tels que le Pendolino. 

  • Moraiolo : très tolérant à la chaleur, on le retrouve aussi dans le centre de l’Italie. Riche en polyphénols, son profil organoleptique est très intense. 

  • Pendolino : originaire des collines florentines, ce cultivar est un pollinisateur. Sa récolte se fait lorsque les olives sont noires et que leurs textures ramollissent. Ce cultivar produit des huiles très raffinées et délicates. 

  • Leccio del Corno : il trouve son origine à San Casciano Val di Pesa - là, où je vis. Pour avoir dégusté cette huile nouvelle, son parfum est délicat sur les notes de thym, de feuille de tomate avec une finale poivrée subtile. Une des meilleures huiles que j’ai pu déguster ici. 

Le jour de la récolte arrive. Je suis impatiente de passer une journée dans les champs. J’observe, j’analyse la situation pour me rendre utile et j’exécute les consignes de Renzo.Il faut démarrer par la pose des filets sous les arbres telle une mue de serpent qui permettra de faire rouler les olives dans les cagettes une fois tombées au sol. Avec cette étendue en place, on passe à la cueillette. Elle se fait à la main pour les branches à hauteur de bras et à l’aide d’un râteau vibrant relié à une batterie avec lequel on vient “peigner” les branches les plus hautes. Pour avoir essayé quelques minutes et partager le ressenti de personnes qui l’ont fait pendant des journées entières, les mains et les épaules sont rudement mises à l'épreuve ! Quand l’arbre est dénudé de tous ses fruits, c’est dans un habile roulement par gravité dans les vagues des filets que les olives sont mises dans des caisses d’environ 18 kilos. 

Sans plus attendre, les olives sont acheminées au “frantoio” - huilerie - pour être transformées. Si l’huile d’olive ne se bonifie pas dans le temps comme le vin, elle est chargée de polyphénols (plus d’une trentaine) qui assurent tous ses bienfaits pour nos organismes et permettent aussi de la protéger de l’oxydation. Tout l’art réside dans la préservation de ces composés pendant le processus de transformation. 

Les olives sont versées dans un conquêt pour la pesée, le fruit est séparé des branches et feuilles - sorte d’éraflage - et lavé à l’eau claire. Dans un vacarme assourdissant aux parfums puissants d'artichaut et de tapenade, Renzo me montre chacune des étapes : écrasement des fruits avec des marteaux avec un contrôle des températures inférieur à 27 degrés, la pâte obtenue passe dans un malaxeur pour être ensuite envoyée dans une centrifugeuse pour séparer l’huile de l’eau puis, vient la filtration. Après plus de deux heures de transformation, un jus dense, trouble et vert fluo s’écoule du robinet. Renzo fait partie de ceux qui ne filtrent pas l’huile pour garder toutes ses saveurs - même si la filtration permet de stabiliser l’huile pour les prochains mois et de la rendre plus sexy à l'œil. 

La dégustation : le côté “pizzicante” naturel, dû aux polyphénols, rend la dégustation intense les premières heures. Il faut attendre l’oxydation des premiers jours pour pouvoir apprécier l’huile nouvelle. La nôtre, non filtrée, avait des notes intenses d’artichaut et en bouche, il y a ce coté poivre blanc qui vient dynamiser la finale. Tout cela avec une intensité de haut vol.

Pour le mot de la fin, je choisis cette expression italienne que j’ai apprise récemment grâce à Emilie et Alice : “Andare liscio come l’olio.” La traduction littérale serait “lisse comme l’huile” pour décrire cette vie, où tout va comme sur des roulettes ! 

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Source : On Tuscany, Académie du Vin Library. Celebrating the tuscan olive, Elisabeth Berger

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